La Spiritualité au féminin chez Mariama Bâ: Islam et la Femme dans Une si longue lettre

Abstract

La spiritualité peut moralement soutenir et alléger les angoisses historiques des individus dans le temps. Cette étude se propose d’examiner le flux et le reflux entre la tradition et la modernité, surtout à l’égard des femmes. Car, à l’ère postcoloniale, biens des êtres humains ne sachent plus toujours comment s’identifier et se comporter dans leur communauté en particulier et dans la société en général. Plusieurs écrivains avant nous ont examiné l’Islam noir vis-à-vis de la situation de la femme en Afrique, femme opprimée par la société patriarcale, le masochisme des hommes, l’injustice de la famille élargie et d’autres maux sociaux.[ Parmi ces penseurs sont Pierrette Héberger-Fonfana dans son essai, « L’Islam dans les romans féminins sénégalais», Lucien Houedanou dans le sien, « Islam et société dans la littérature féminine du Sénégal », Amy-Claire Jaccard dans son propre essai, « Les visages de l’Islam chez Mariama Bâ et Chez Aminata Sow Fall », Dorothy Wills Davis dans « Economic Violence in Postcolonial Senegal: Noisy Silence in Novels by Mariama Bâ and Aminata Sow Fall », Susanna Maria Swart dans « Beyond the Veil: Muslim Women Write Back (Mariama Bâ and Nawal Sa’Dawi) », Sheldon Cellar dans An African Nation Between Islam and the West, Deidre Lashgari dans Violence, Silence and Anger: Women’s Writing as Transgression, Obioma Nnaemeka dans « From Orality to Writing: African Women Writers and the Re (Inscription) of Womanhood » qui traite de l’abus de l’institution de la polygamie, ordonnée par l’Islam, certes, mais mésinterprétée par les hommes pour leur avantage et Kenneth Harrow dans Faces of Islam in African Literature, qui explore les maints visages de l’Islam dont on devrait tenir compte chaque fois que l’on étudie le rôle de cette religion dans la société africaine. Papa Samba Diop dans Ecriture romanesque et cultures régionales au Sénégal (Des origines à 1992), a exploré l’amitié des héroïnes de Mariama Bâ, Ramatoulaye Fall (une vraie Samba Linguère) et Aïssatou Bâ de la classe des orfèvres, et de là la transgression de yoon, voire la frontière entre la noblesse (géer) et la classe ouvrière. Chez Mbaye Boubacar Cham, la transgression a dépassé le sens traditionnel du Mirasse pour atteindre l’énigme qu’est l’homme postcolonial, oppresseur de la femme qui, elle, est restée vertueuse et noble. ] Il y a, par exemple, Lisa McNée dans Selfish Gifts: Senegalese Women’s Autobiographical Discourses, son illustre œuvre sur l’autobiographie au féminin chez les Sénégalaises, qui a affirmé le taasu, c’est-à-dire le genre féminin et oral souvent performé dans des espaces féminins de baptême et de mariage, etc., performé par la taasukat, qui détient le privilège de changer de contexte de sa performance.[ Shari Coulis dans “The Impossibility of choice: Gender and Genre in Mariama Bâ’s So Long a Letter” a exquisé l’idée qu’on pourrait voir Une si longue lettre comme un taasu. 33-34. ] Par la suite, Ada Uzoamaka Azodo dans un article inédit, «Reading Mariama Bâ’s Une si longue lettre as a Senegalese Oral Performance of the Traditional taasu genre », a vu le roman magistral de Mariama Bâ comme un véritable taasu, dans lequel Ramatoulaye a étalé sa noblesse et sa supériorité morale vis-à-vis de son feu mari Modou Fall. Ce dernier avait blessé son orgueil en l’abandonnant moralement et financièrement pour une plus jeune femme, l’amie de leur première fille, Daba.[ Ada Uzoamaka Azodo a exploré Une si longue lettre comme un taasu, «Reading Mariama Bâ’s Une si longue lettre as a Senegalese Oral Performance of the Traditional taasu genre » (texte inédit ; à paraître). ] Pour notre projet actuel, j’entends effectuer un passage de l’oralité à la spiritualité, en prenant pour appui des versets du Coran. Je mettrai accent sur le fondement de base islamique d’Une si longue lettre et présenterai Ramatoulaye Fall, l’héroïne de Mariama Bâ, comme un modèle de moralité et de vertu à plusieurs femmes qui se cherchent et cherchent le bonheur et la paix intérieure. Les hommes peuvent y tirer aussi quelques leçons morales pour (re)conduire leur vie, car la société a besoin de changement de pensée et de comportement de la part des femmes, mais aussi des hommes.[ Notons d’emblée que quelques critiques avant nous ont déjà vu ledit roman de Mariama Bâ comme un journal, une lettre, une autobiographie, un roman et un morceau de littérature orale sénégalaise. Nous proposons une nouvelle tentative de compréhension de la femme comme fille, épouse, mère et dévouée de Dieu. Selon la tradition islamique de base, la femme avait trois rôles importants à jouer dans la société, en tant que fille, puis épouse [« Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles » (Coran 2 : 187); « Le meilleur d’entre vous est celui qui est le meilleur {dans son comportement} envers sa famille, et je suis le meilleur {dans mon comportement} avec ma famille »], ou ensuite mère [« Le parais se trouve sous les pieds des mères » [C’est ainsi que l’Islam fait honneur à la mère en lui donnant le titre de « Reine du Foyer »]. Puis, selon la spiritualité sunnite : D’après Al-Bazzâr: « (…) un homme portait sa mère en faisant les circumambulations (tawâf) du pèlerinage. Celui-ci demanda au Prophète si, de cette manière, il se serait acquitté de sa dette envers elle. Le Prophète lui répondit: « Non, cela ne vaut un seul souffle » faisant référence aux souffles du travail et de l’accouchement et les peines qu’elle endure pour son enfant. » [http://spirituelle.com/index.php] ] Le texte d’Une si longue lettre sera vu dorénavant comme un tract religieux sur la spiritualité et la moralité de l’Islam noir. [ Voir Ada Uzoamaka Azodo. Emerging Perspectives on Mariama Bâ: Postcolonialism, Feminism, and Postmodernism. Trenton, N.J.: Africa World Press 2003. ] Quelques questions pertinentes nous viennent à l’esprit. Comment l’héroïne du roman s’identifie-t-elle? Quelle est l’impact de la religion sur son comportement? Quelles sont ses idées sur la famille, y compris le mariage, le divorce, l’héritage en général et l’héritage de la femme dont le mari est mort, voire, le mariage lévirat, et l’éducation des enfants? Finalement, comment peut-on expliquer sa décision de porter le deuil du feu mari, qui l’avait abandonnée de son vivant? Autant de questions qu’il reste à élucider en étudiant à nouveau Une si longue lettre de Mariama Bâ.